Cloud Harbor

MATT observait le premier soleil se coucher. Il avait encore un peu de temps avant que le deuxième astre ne fonde derrière l’horizon. Il avait toujours aimé cet instant, où les cris des buselards s’éveillent et s’éteignent à intervalle irrégulier comme si ce bref moment entre les jours et les nuits recelait quelques dangers surannés. Les citoyens ne perçoivent sans doute dans ces craillements que le hasard complet d’oiseaux dérangés. Incapable de lire la mélodie séquencée pourtant si distincte… enfin, personne n’écoute les buselards de toute façon.

Les pieds dans le vide, il se risqua à observer la surface, conscient que l’appel du Vide pouvait le saisir à tout instant. Il sourit, observant à travers un courant du maze, deux ivrognes jouer à la roulette rousse… pourquoi défier la mort avec un canon lorsqu’on habite sur la gâchette ? Ses basquettes faisaient des mouvements de va-et-vient au-dessus d’un nuage effiloché, avec un rythme d’une précision impossible. Il autorisa sa vision à s’ajuster au moment. Ouverture du diaph, focale un peu plus longue. Voilà. Une profondeur de champ réduite, profiter de l’instant.

La ville n’allait pas tarder à devenir silencieuse. Chacun allait redoubler d’attention, ce n’est pas le moment de… ah… une chute au district 5. Trop loin pour entendre le cri. Haussement d’épaule. La nuit ne fait que commencer, il fera le compte demain.

Le mouvement de balancier s’était propagé jusqu’au torse. MATT désactive volontairement ses dispositifs de stabilisation, laissant ses capteurs prendre la mesure du vent. La sensation était grisante… non, il s’agissait d’autre chose. Le sentiment exact lui glissa entre les doigts alors qu’il les tendait de plus en plus loin vers l’horizon, les yeux fermés. Il suffirait d’un…

C’est dangereux ça m’sieur !

Il n’avait pas entendu la petite fille s’approcher et s’asseoir à ses côtés. Un grand sourire illuminait le visage du petit humain, alors que ses petites jambes se balançaient légèrement au-dessus du Vide, mimiquant les mouvements de l’androïde.
Étrange, il jouait peut-être un peu trop avec ses niveaux d’alertes ces derniers temps, il aurait dû prévoir cette rencontre depuis des jours.

C’est mon spot préféré, j’adore quand on vole au-d’sus des montagnes – lança la fillette, plissant des yeux pour regarder aussi loin qu’elle le pouvait… désespérément proche, flou.

Voler ? – répondit-il, faisant abstraction de l’âge de son interlocutrice – On ne vole pas, on tombe.

La petite humaine lui décocha un nouveau sourire innocent, puis plaça un son index devant sa bouche avant d’émettre un bruit blanc court étrangement apaisant.

Chuuut… écoute les buselards !